Klangrelief I

 

partition
curiculum vitae

Rudolf Kelterborn

Klangrelief I

für Flöte, Violine, Violoncello, Klavier und Schlagzeug, 2001

 


Das Werk entstand 2000/2001 auf Anregung des Janus-Ensembles Karlsruhe.
Der Titel bezieht sich auf die räumliche Gestaltung von (Klang-) Hintergrund und (oft gestalthaftem musikalischem) Vordergrund, wobei zwischen den beiden Ebenen wechselseitige Beeinflussungen stattfinden, Reaktionen ausgelöst und Elemente ausgetauscht werden.
Zum emotionalen Gehalt des Stücks, zu Aspekten des Spannungsverlaufs, zur "Aussage" der Komposition kann und will ich mich nicht äussern - das Muss die Musik selber leisten,


Rudolf Kelterborn

Rudolf Kelterborn

 

 

Weitere Werkbetrachtungen

"je veille, pense, brûle..."
La pièce commence fougueusement dans les cordes graves, "avec exaltation", "violemment, avec du bruit"; les violons et les bois aigus entrent "extasiés", suivis bientôt par la percussion "hors d'haleine, chaotique". Tel est le cours de la musique, jusqu'à ce qu'elle se heurte, après une brève pause générale, à une muraille de sons électroniques dure comme le béton, mais animée d'un fort mouvement intérieur. La véhémence de ce début est exceptionnelle, à des lieues de toute complaisance, elle porte une charge excessive, voire explosive.

La composition qui commence ainsi, Namenlos ("Sans nom"), de 1995/96, occupe une place à part dans l'oeuvre de Rudolf Kelterborn, car c'est la première depuis longtemps où il recourt aux moyens électroniques ? à part "Espansioni", de 1974/75 (avec bande magnétique) et les "Erinnerungen an Shakespeare" plus tardives, pour voix chantée, percussion et électronique live. Avec le concours du compositeur et audio designer Wolfgang Heiniger, du studio d'électronique de l'Académie de musique de Bâle, Kelterborn a peaufiné la partie électronique selon ses conceptions. D'après ce que nous venons de dire du début, il semble que l'électronique soit un antagoniste de l'orchestre, mais en fait, elle a plutôt pour fonction d'élargir la palette orchestrale et de la prolonger dans l'espace, à plusieurs niveaux. Voyez ainsi le rôle de l'électronique live dans la troisième partie: les sons produits par la percussion sont transformés au moment de leur exécution par les procédés du pitch shifting et de la ring modulation. Quant aux insertions préfabriquées dans les autres parties, elles se basent aussi sur des sons instrumentaux traités et altérés à l'ordinateur. La clarinette contrebasse, le trombone, le violoncelle et le piano représentent chacun une des sections de l'orchestre et produisent des sons graves et riches en harmoniques, qui se prétent bien au traitement électronique. Ainsi, les sons réels et les sons électroniques se fondent et, à certains moments, an ne distingue pas ce qui sonne live de ce qui sort de l'ordinateur. D'autre part, Kelterborn confie à la partie électronique les mêmes gestes musicaux qu'aux parties instrumentales traditionnelles. Les indications qu'il note dans la partition au?dessus des insertions électroniques, à titre de suggestion, pourraient figurer dans certaines parties d'orchestre: ainsi la sixième partie commence par "sifflement aigu", "ronflement (assez grave)", "mouvements profonds", "sons aigus seulement (animé, beaucoup d'harmoniques)". II ne manque au fond que l'indication "espressivo", qui s'adresse évidemment à des musiciens; mais sinon, l'électronique est empreinte d'émotion autant que le reste de la partition.

On ne peut donc attribuer de rôle fixe à l'électronique ou à l'orchestre. Certaines relations croisées, en ce qui concerne la texture du matériau, ont plus d'importance le contraste entre les passages excités et les éléments statiques, par exemple. Les mouvements frénétiques qui foncent dans la muraille sonore de la première partie reparaissent dans la deuxième; ce sont alors des figures furtives, plus douces, plus disparates, sans électronique, obtenues par la superposition de notes tenues. Dans la troisième partie, un ruban sonore centré sur fa dièse se déchiquette en mouvements isolés, d'une part avec des séquences agitées de notes de l'orchestre, d'autre pari sous l'influence de l'électronique live. A ce point, impossible?ou presque de distinguer d'où vient quoi. Après ce morceau relativement homogène, la quatrième partie semble surgir de nouveau des profondeurs de la nuit, impression qui se renforce dans la cinquième, très hétérogène. Les mouvements rapides de certains instruments rappellent le début, mais an se rend vite compte que la musique prend un autre cap. Une couche de lignes plus calmes passe au premier plan, puis la pulsation s'accélère et le mouvement se termine par des accents durs, donc à un tout autre endroit.

La sixième partie renverse en quelque sorte l'ordre de la première: une partie électronique extrêmement animée débouche sur une muraille orchestrale notée pianissimo. Nous retrouvons ici les trémolos de marimba de la quatrième partie et les mélismes évanescents de clarinette basse de la deuxième. Puis l'oeuvre semble vouloir se conclure "al niente". Mais si fermée, si symétrique qu'elle se donne, par toutes ses correspondances internes, elle n'en finit pas moins par s'ouvrir. Un nouvel élément survient, qui pourrait marquer le début d'une nouvelle pièce: le baryton, qui était assis depuis longtemps dans l'orchestre sans dire mot, chante tout à coup "molto tranquillo" et "sotto voce" un extrait du n° 164 du "Canzoniere" de Pétrarque:

Or che 'I ciel e la terra e `I vento tace
e le fere e gli augelli il sonno affrena,
Notte il carro stellato in giro mena,
e nel suo letto il mar senz'onda giace;

vegghio, penso, ardo...


"Ore que ciel et terre et vent se tait, / qu'oiseaux et bêtes retient le sommeil, / que la Nuit mène en cercle son char étoilé / et dans son lit mer sans vague gît, // je veille, pense, brûle.."
(traduction Gérard Canot, Le chansonnier, Aubier?Flammarion, Paris 1969)

Les vers de Pétrarque indiquent que rien n'est encore fini et que le poète ne se satisfait pas de la situation, mais qu'il reste attentif et scrute la nuit. "Je veille, pense, brûle..." ? ces verbes dessinent "l'autoportrait chiffré, mais complet, du compositeur", selon le musicologue Anton Haefeli.

Namenlos, le titre qui figure au?dessus de ces "6 compositions", signale un dilemme: Rudolf Kelterborn a beau s'être mesuré régulièrement à la poésie et compter parmi les principaux compositeurs d'opéra de Suisse, il se méfie du discours sur la musique ? d'où son titre. "Chaque auditrice, chaque auditeur, déclare?t?il, peut ainsi lâcher la bride à son imagination. En conséquence, j'ai aussi renoncé à désigner chaque pièce par une indication caractéristique; et je ne me laisserai jamais tenter de décrire ou d'expliquer une composition ?ni son contenu, ni son atmosphère, ni sa forme ou sa structure." D'ailleurs, "j'ai beaucoup de peine à comprendre pourquoi an insiste tant pour savoir ce que tel morceau de musique veut dire, ce qu'il signifie. L'appel à des notions extra?musicales me paraît souvent n'être qu'une fuite devant les hautes exigences que pose toute musique complexe"


Le terme neutre de "concerto" pourrait ainsi être appliqué aux deux autres oeuvres figurant sur le présent CD ? s'il n'était pas marqué par toute une tradition. II ne convient pas, cependant, de chercher des comparaisons avec d'autres ceuvres de l'histoire de la musique. Kelterborn ne s'est pas inspiré de la forme traditionnelle du concerto, pas plus qu'il n'a composé un dialogue entre soliste et orchestre. Dans le concerto pour violoncelle et orchestre en un mouvement (1998/99), le concertare traditionnel, soit la lutte entre un individu et une collectivité, se voit brisé et stratifié. Certes, le soliste domine, surtout dans l'interprétation extrêmement expressive du dédicataire, Ivan Monighetti, mais il constitue quand même sans cesse de petites constellations de musique de chambre, avec d'autres instruments, quand il ne déclenche pas des poussées orchestrales. Les passages d'orchestre purs sont cependant rares.

Au début, le violoncelle se détache des sons graves du tam?tam et de la harpe, et entame un monologue, auquel se mêlent quelques instruments. Nous retrouverons plus tard cette superposition de timbres. Le soliste semble ensuite remonter quelquefois des profondeurs avec une force nouvelle. A la fin, les accents graves et indistincts du tam?tam, de la percussion et de la harpe reparaissent sous la cantilène planante du soliste. C'est une réminiscence vague du point de départ du morceau, alors que le violoncelle a atteint lui?même un autre lieu ? mais sur les mêmes notes qu'au début. Ces indications révèlent aussi à quel point la musique est soudée intérieurement ?par un motif comme celui du début du violoncelle, mais aussi par des timbres caractéristiques et des champs sonores. Extérieurement, pourtant, elle suit un parcours extrêmement diversifié, qui suscite des émotions surprenantes et contradictoires. Impossible ? ou presque ? de les rassembler en un seul faisceau ? ce qui n'est probablement pas souhaité, d'ailleurs.


Les relations et les contrastes structurels sont plus manifestes dans le Concerto de chambre pour clarinette (clarinette basse) et quatorze instruments (1999), avec ses deux mouvements d'apparence très opposée. Pourtant le sentiment de leur "équivalence" ne s'impose qu'après une écoute répétée. Les deux mouvements commencent certes très différemment, mais pourtant "avec des pulsations nettes et plus ou moins régulières", comme l'écrit le compositeur. Dans le premier, "Agitato", ces pulsations sont denses, rapides, staccato, sèches et fortes; dans le second, "Grave", sombres, étirées, très lentes, sonores, douces. La clarinette est en outre remplacée par la clarinette basse. C'est ainsi que les extrêmes se touchent.

Malgré cet agencement d'apparence si claire, la variété du Concerto de chambre échappe quand même à une description verbale simple. Celui qui croit par exemple que, dans l'"Agitato", la musique restera dans le domaine du tranquillo après la cantilène de la clarinette solo, jouée legatissimo et entrecoupée seulement de quelques interjections, sera déçu. La musique fait exploser une nouvelle fois ce qui semblait étre revenu au calme, et elle se termine sur une note disparate, ce qui ne confère que plus de mystère au début du "Grave", qui s'éclaircit peu à peu. Les deux mouvements n'ont pas pour but de produire un effet de fermeture; ils mènent plutôt de A à B, donc d'un endroit à un autre.

La musique de Rudolf Kelterborn est d'essence dramatique et se rapproche du discours parlé, mais elle comprend tant de répliques qu'il est impossible d'en distiller des contenus littéraires ou de simples histoires; ses articulations sont claires, elle est riche de relations internes, mais elle est pourtant en mutation perpétuelle et imprévisible. Un de ses soucis principaux est la diversité des émotions dans la rigueur des structures. Les conclusions ? qui sont souvent révélatrices du contenu manifestent un esprit d'ouverture, comme an l'a déjà vu avec Namenlos. A la fin des deux Oeuvres concertantes, le soliste tient certes le rôle principal, mais il est "contredit" de diverses manières: dans le Concerto de chambre, par des coups violents, qui semblent vouloir écraser le dolce du solo; dans le Concerto de violoncelle, par les borborygmes qui grondent sous la voix presque angélique du violoncelle. La beauté et le calme ne sont pas présentés comme des choses évidentes. Le sommeil du juste n'existe pas, il faut veiller, penser, brûler...
Thomas Meyer